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Juillet 2021

Preventing Industrial Accidents


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Reappraising H. W. Heinrich – More than Triangles and Dominoes
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Busch, C.

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Busch, C. (2021). Preventing Industrial Accidents: Reappraising H. W. Heinrich – More than Triangles and Dominoes (1st ed.). Routledge.

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Un jeune collègue suédois, Carsten Busch, a entrepris dans un livre publié récemment de relire l’œuvre d’Herbert William Heinrich. 

Visionnaire de la sécurité, ses premiers écrits remontent à 1921 et sont à l’origine du modèle des dominos (propagation de l’erreur jusqu’à l’accident) et du triangle reliant incidents mineurs, presque accidents et accidents majeurs (souvent plus connu sous le nom de son emprunteur, la « Pyramide de Bird »).

Comme souvent, on ne fait depuis que réinventer l’eau chaude… À lire absolument pour cesser de faire le sachant ou de critiquer sans avoir vraiment lu le contenu.

Notre synthèse

H.W. Heinrich a été très productif au cours de ses cinq décennies de travail dans le domaine de la sécurité. Son livre le plus connu, Industrial Accident Prevention  a connu quatre éditions différentes au cours de sa vie (1931, 1941, 1950 et 1959) et une mise à jour posthume (1980). Heinrich a également écrit et publié deux livres destinés aux managers, Basics of Supervision (1944) et Formula for Supervision: Outlining the Application of Supervisory Control to Secure, Safe, Efficient Work Performance (1949). À titre posthume, Alfred Lateiner a terminé et publié un dernier livre de gestion en 1969 sous le titre Management and Controlling Employee Performance.

Le domaine de travail de Heinrich s’est concentré sur la sécurité industrielle des travailleurs, le rôle du management, la sécurité des procédés et celle des transports. Il a longtemps exercé comme consultant en gestion des risques.
On peut identifier neuf thèmes principaux, qui sont autant de « modèles et métaphores » :

  1. Le rôle de l’approche scientifique
  2. Le coût et efficacité
  3. La causalité et séquence d’accidents
  4. Le rôle des travailleurs et le modèle des Dominos
  5. Le triangle/la pyramide des accidents-presque accidents-incidents et la réaction aux signaux faibles
  6. Le rôle de la direction
  7. Les axiomes de sécurité
  8. La professionnalisation de la sécurité
  9. La prévention pratique des accidents

Le rôle de l’approche scientifique

Heinrich n’est pas un chercheur au sens propre qui aurait avancé ses concepts par des expérimentations personnelles. Il fait plutôt référence aux connaissances du moment et fait mention fréquente de principes « scientifiques » ou fondés sur les faits pour proposer des axiomes. Ses recommandations scientifiques sont surtout réservées au rôle du management et à la professionnalisation de la sécurité. Par exemple, il insiste sur la nécessité d’une approche factuelle, d’une meilleure connaissance et plaide en faveur de meilleures statistiques et d’une meilleure utilisation de celles-ci.

Coût et efficacité

Ce sujet figure en bonne place dans les premiers travaux de Heinrich (mentionnés dès 1923) et ouvre le livre de 1931 avec un chapitre entier consacré au sujet. Au fur et à mesure que d’autres thèmes principaux se développent et gagnent en importance, cette vision sur les coûts recule un peu mais ne disparaît jamais.

Il développe notamment un argumentaire très long sur les coûts directs et les coûts accessoires/indirects/cachés. Il entend par là les pertes secondaires non assurables, en plus des réclamations en responsabilité directe et des frais médicaux : « Les coûts des accidents, autres que ceux représentés par l’indemnisation, la responsabilité et les paiements médicaux, sont de loin les dépenses les plus importantes ». (Heinrich, 1926). 

Mais surtout, le thème inclut également l’argument selon lequel la prévention des accidents est une « bonne affaire » au sens d’une stratégie rentable (Heinrich, 1931a, p.16), et que sécurité et efficacité vont de pair.

Pour Heinrich, l’approche monétaire de la sécurité est une incitation supplémentaire et puissante pour les employeurs (et l’État) à s’engager dans des travaux de sécurité, en plus des aspects humanitaires : « un puissant stimulant à l’action préventive » (Heinrich, 1931a, p.17). Il semble que cet angle économique ait eu un impact important sur le travail de sécurité, et sur l’acceptation de la sécurité par de nombreux gestionnaires comme une priorité.

Causalité et séquence d’accidents

Heinrich était convaincu que la connaissance des causes était essentielle pour trouver des actions de prévention efficaces. Il souligne l’importance des différentes étapes d’un accident. Il faut séparer les causes, l’accident et les conséquences (blessures).

« Par-dessus tout, cependant, si nous supposons (comme il semble approprié de le faire) que le but principal de l’analyse est de fournir un indice à la prévention des accidents, il est essentiel de connaître la cause de l’accident lui-même par opposition à la cause de la blessure… » (Heinrich, 1928b, p.122-123, souligné dans l’original).

La séquence initiale des causes, des accidents et des blessures deviendra progressivement dans les écrits de l’auteur une séquence d’événements dont les actes dangereux et les conditions dangereuses (« dangers mécaniques ou physiques ») sont des précurseurs essentiels.

En 1934, cette séquence devient le fameux modèle des dominos.

Ainsi, si Heinrich se concentrait sur les causes immédiates, cela ne signifie pas qu’il préconisait une causalité unique, même si le langage et la formulation peuvent parfois le suggérer. Il reconnaissait les causes sous-jacentes (Heinrich, 1941, p.109), mais il ne voyait pas la nécessité d’aller toujours en profondeur.

Heinrich consacre beaucoup d’espace dans ses livres à expliquer de meilleures façons de faire « l’analyse des causes d’accidents » (1931a, chapitre III) et « l’établissement des faits » (1941, chapitre IV).

Le rôle des travailleurs et le modèle des dominos

L’une des choses pour laquelle Heinrich est le plus connu est son attribution de la majorité des accidents à l’échec de l’homme. On oublie souvent (ou on ne sait pas, ou on ignore) que cette attribution se rapporte en premier lieu à des causes directes ou immédiates : la chose qui « s’est produite » juste avant un accident.

Le thème du « rôle des travailleurs » englobe de nombreux éléments, dont l’idée que la plupart des accidents sont attribuables à des « actes dangereux » ou à « l’échec de l’homme » (en particulier la séquence de dominos de Heinrich est très axée sur la personne).

Heinrich évoque la prédisposition aux accidents, la psychologie de la sécurité, la fatigue (dans le livre de 1941) et l’influence de l’âge sur les accidents.

La psychologie de la sécurité est un sujet de chapitres dédiés (mais courts) dans la première et la deuxième édition de Industrial Accident Prevention, mais Heinrich ne définit pas clairement ce qu’il entend par « psychologie de la sécurité ». Il accorde cependant une grande importance au sujet : « La psychologie est à la racine de la séquence des causes accidentelles » (Heinrich, 1931a, p.127). Le texte présente une hypothèse sous-jacente selon laquelle il y a « quelque chose » à l’intérieur de l’humain qui peut être expliqué et corrigé. Ce « quelque chose » est hors de notre portée pour le moment, mais pourrait être accessible à l’avenir.

Pour autant, il est intéressant de noter que même si Heinrich est connu pour son attribution d’accidents à des « actes dangereux de personnes », et qu’il décrit en effet fréquemment les humains comme des êtres négligents et générateurs d’erreurs, il les reconnaît également comme un facteur positif essentiel et conseille de tirer parti de leurs forces : « …dans de nombreux cas, la sécurité peut être favorisée en employant l’ingéniosité et le génie mécanique des ouvriers de l’usine moyenne, dans la révision des processus et des procédures » (Heinrich, 1931a, p.246).

Dans le premier paragraphe de l’article intitulé Unsafe Habits of Men, il préfère même « …des hommes capables et expérimentés qui travaillent dans des conditions dangereuses » (Heinrich, 1940, p.112) à « …des hommes incapables et inexpérimentés qui travaillent dans des conditions sûres » (Heinrich, 1940, p.112). Il s’agit assurément d’une pensée très « novatrice » pour l’époque, proche des idées modernes sur la résilience, avec des opérateurs qui auraient la capacité de gérer les variations dans des environnements incertains.

Enfin, contrairement à une croyance commune qui relie Heinrich aux approches comportementalistes (e.g. Dekker, 2017), Heinrich ne prône pas des actions purement comportementalistes, visant à corriger les « actes dangereux » : « …il est imprudent de dépendre automatiquement et invariablement de méthodes éducatives ou de supervision » (Heinrich, 1940, p.112).

Le triangle/la pyramide des accidents, presque-accidents et incidents mineurs, ou comment réagir aux signaux faibles

L’une des métaphores les plus emblématiques — et les plus durables — de Heinrich est le triangle de sécurité (appelé alternativement « pyramide » ou « iceberg ») qui propose que, pour tout accident ayant des conséquences majeures, il existe un plus grand nombre d’accidents avec des conséquences mineures et un nombre encore plus important d’accidents sans aucune conséquence.

Heinrich relie cela clairement à la distinction des causes, des accidents et des conséquences que nous avons déjà vues dans la séquence d’accidents. Selon lui, il ne faut pas attendre les accidents aux conséquences graves, mais plutôt réagir sur ce que nous appellerions aujourd’hui des « signaux faibles » (Weick & Sutcliffe, 2001).

Il dit notamment que « nous détournons trop souvent nos efforts (de sécurité) et ignorons des données précieuses » (Heinrich, 1929b, p.9) lorsque nous attendons que le « grand événement » se produise pour prendre ensuite des mesures. Cette réflexion fait également écho à la notion de risque, sans utiliser ce mot : « L’importance de tout accident individuel dans le travail de prévention réside dans le pouvoir potentiel de créer des blessures et non dans le fait qu’il y en ait effectivement ou pas » (Heinrich, 1929b, p.10).

Heinrich partageait les idées et axiomes suivants :

  • Prêter attention aux « petites choses » augmente notre base de connaissances (la fréquence peut être plus importante que la gravité) ;
  • Le potentiel est plus important que la conséquence réelle (c’est typique d’une approche basée sur le risque) ;
  • Des conséquences graves comme des conséquences mineures peuvent être rattachées à la même cause (une approche plus proactive) ;
  • Aux fins de la prévention des accidents, tous les événements sont considérés d’égale importance, quelles que soient leurs conséquences.

Le rôle du management

Heinrich est largement connu pour son intérêt pour le comportement des travailleurs, mais les (top) managers étaient en fait son public principal (Heinrich, 1931a ; 1941). Il s’intéressait à tous les niveaux hiérarchiques, avec un regard particulier sur les dirigeants.

  1. Le rôle des contremaîtres et des superviseurs
    Ces personnes sont en contact étroit avec le travail quotidien et les employés. Ils étaient considérés comme les mieux placées pour anticiper et corriger les « comportements dangereux » et les risques physiques. Dans la version de 1931 de Industrial Accident Prevention, Heinrich attribue 88 % des accidents à des causes de nature hiérarchique, ce qui signifie qu’à son avis, les contremaîtres et les superviseurs pourraient contrôler la plupart des accidents.
  2. Le rôle des dirigeants et de l’employeur
    Alors que les ouvriers et les contremaîtres peuvent faire des erreurs et ignorer les instructions, « la responsabilité incombe en premier lieu à l’employeur » (Heinrich, 1931b, p.11, italique dans l'original) : « …il est vrai que l’employé est responsable dans une certaine mesure. L’employeur, cependant, doit accepter la part du lion, car en dernière analyse c’est lui qui crée les conditions de travail, offre l’emploi, sélectionne et assigne les travailleurs, et initie toute la série d’événements inclus dans les opérations industrielles. Toute clause de non-responsabilité, de la part de la direction, de responsabilité en cas d’accident est spécieuse. Cela retarde également la reprise des affaires, dans la mesure où cela laisse un problème de dépenses inutiles non résolu » (Heinrich, 1933b, p.54-55).
  3. Sécurité (prévention des accidents) dans le cadre des activités quotidiennes
    Dans plusieurs de ses articles, Heinrich souligne que la gestion, la production, l’efficacité, l’assurance qualité et la sécurité reposent sur les mêmes principes et vont parfaitement ensemble. Les méthodes les plus utiles pour la prévention des accidents sont analogues aux méthodes requises pour le contrôle de la qualité, du coût et de la quantité de la production : « il est donc non seulement possible de prévenir la grande majorité des accidents, mais aussi de le faire par l’exercice des méthodes mêmes qui font de l'économie, une plus grande production et de plus grands profits » (Heinrich, 1928b, p.130, souligné dans l’original).
  4. Responsabilité (en particulier de la direction)
    La responsabilité est un sujet récurrent dans de nombreuses publications. « L’acceptation de la responsabilité est un facteur vital dans le leadership industriel » (Heinrich, 1929e, p.23), écrit-il dans les papiers Message to the Foremen, qui traitent principalement de la prise de responsabilité. Dans ses livres également, il parle régulièrement de « responsabilisation » (Heinrich, 1931a, p.78) et notamment dans l’édition de 1941 de Industrial Accident Prevention qui contient une section complète au chapitre II traitant des responsabilités des différents « acteurs ». Heinrich insiste ici sur la responsabilité de la direction plutôt que sur celle des ingénieurs de sécurité et des employés.

Axiomes de sécurité

Les axiomes sont des « vérités évidentes », des déclarations qui n’ont pas besoin d’explications supplémentaires et qui sont à la base de quelque chose. « Le véritable travail de prévention des accidents dépend avant tout de la reconnaissance et de la connaissance des vérités fondamentales impliquées… » (Heinrich, 1926, p. 257).

Heinrich décrit 3 principes et une série d’axiomes (dont certains vus précédemment).

  1. Intérêt, soutien et action de l’exécutif,
  2. Connaissance des faits accidentels,
  3. Action appropriée et efficace basée sur ces faits.

Un exemple d’axiome fréquemment cité dans la littérature étudiée : « La survenue d’une blessure résulte invariablement d’une séquence complète de facteurs - un facteur étant l’accident lui-même » (Heinrich, 1941, p.12).

Professionnalisation de la sécurité

Heinrich notait au début de sa carrière que « La prévention des accidents est une science, mais elle n’est pas reconnue ni traitée scientifiquement aujourd’hui » (Heinrich, 1928b, p.121).

Malgré le mouvement pour la sécurité des premières décennies du siècle (Aldrich, 1997) et le fait que des entreprises comme The Travelers disposaient d’un personnel impressionnant avec des ingénieurs en sécurité, à l’époque de Heinrich, la sécurité n’était généralement pas considérée comme une science ou comme « un domaine » (Swuste & Sillem, 2018, p.27).

Tout au long de sa carrière, Heinrich a essayé d’améliorer cette situation en suggérant une meilleure utilisation des statistiques, la connaissance des principes de base, des définitions, une analyse causale appropriée, etc.

Prévention pratique des accidents

C’est un peu une catégorie « divers », mais importante, surtout quand on regarde le nombre de pages qui y sont consacrées. Par exemple, environ un quart des pages de la première et de la deuxième édition de Industrial Accident Prevention traitent de la protection des machines, et sont illustrées par de nombreuses iconographies. Un autre exemple est sa discussion détaillée sur l’éclairage des sites industriels.

Outre les actions concrètes de sécurité, les travaux de Heinrich contiennent également de nombreux autres sujets liés à l’organisation de la sécurité, l’éducation/formation à la sécurité et la révision des processus et procédures. Dans la deuxième édition de Industrial Accident Prevention, on trouve même des chapitres sur la fatigue, les maladies professionnelles et les premiers secours.

Quelle influence de Heinrich de nos jours ?

Les travaux de Heinrich ont été extrêmement influents sur la théorie et la pratique de la sécurité, et ses influences perdurent jusqu’à aujourd’hui.

Les idées de Heinrich s’écartaient de la pensée sécuritaire de l’époque, mais ce qu’il a dit avait du sens et ses idées ont été acceptées et ont changé les pratiques.

Deux des métaphores les plus emblématiques de la sécurité ‒ les dominos et le triangle ‒ font partie de son héritage. Seul peut-être le modèle du fromage Suisse de Reason est arrivé à être aussi (re)connu.

L’un des premiers à pousser plus loin les idées de Heinrich semble avoir été Alfred Lateiner qui a contribué à populariser les modèles de Heinrich en Europe dans les années 1950. Il a quelque peu modifié les descriptions des dominos et il a changé le nom du modèle de triangle en modèle d’iceberg : « Le problème de l’accident est comme un iceberg avec seulement un onzième de sa masse visible. La base invisible ‒ constituée d’accidents sans blessure ‒ est dix fois plus importante. Nous examinons habituellement un accident d’un œil critique que lorsqu’il produit une blessure. En bref, pour chaque accident que nous signalons, enquêtons, analysons et enregistrons, il y en a 10 que nous ignorons généralement » (Lateiner, 1958, p.14).

Frank Bird est bien sûr un autre héritier direct de Heinrich. Il a fait une étude majeure à la fin des années 1960 sur plus de 1 500 000 accidents et a proposé un nouveau taux d’accidents de 1:10:30:600, incluant les dommages matériels comme troisième niveau du triangle et en faisant le moteur central pour le travail de sécurité (Bird & Germain, 1966 ; Bird & Loftus, 1976).

Bird ‒ en coopération avec d’autres, notamment Germain ‒ a également remis à jour les autres métaphores de Heinrich, notamment en actualisant le rapport des coûts cachés et en mettant à jour le modèle des dominos.

Certains affirment que les approches comportementales en matière de sécurité ont contribué à la popularité continue des enseignements de Heinrich (Swuste et al., 2016). Le mouvement de sécurité basée sur le comportement (Behavior Based Strategy - BBS) s’inspire fortement de certaines des idées de Heinrich (et les interprète mal au moins en partie) en mettant l’accent sur l’identification et la modification des comportements dangereux des travailleurs, par exemple à travers l’observation d’actes « non sécuritaires » et de « conditions dangereuses ».

Plus récemment, à la suite d’accidents comme Texas City et Deep Water Horizon, certains partisans du BBS ont commencé à « démêler » le triangle de sécurité. Avant ces accidents, l’application du triangle de sécurité focalisait sur la sécurité au travail, ce qui a détourné l’attention de la sécurité des processus. Cela a été sérieusement critiqué (par exemple, Hopkins, 2008). Le « démêlage » a conduit au mouvement Serious Injuries & Fatalities (SIF), qui se concentre sur la partie « à haut potentiel » du triangle au lieu d’événements mineurs à faible potentiel comme les glissades, les trébuchements et les chutes (Martin et Noir, 2015).

Le Coze (2013) propose un autre ensemble de critères pour caractériser les modèles (de sécurité) réussis et convaincants. Ils doivent être simples à comprendre, normatifs, génériques et donc utilisables dans différents contextes, et avoir un attrait visuel. Apparemment, Heinrich avait le don de cocher toutes les cases, tout comme Reason. « D’abord leur capacité à être générique, que ce soit dans l’industrie chimique, dans l’aviation ou dans le ferroviaire, les deux modèles du triangle et des dominos s’adaptent assez bien (1) ; ils sont normatifs car ils donnent des principes d’appréciation de situations particulières (2). Ils ont aussi la capacité de mobiliser des métaphores séduisantes (3), d’être des inscriptions (4) et de devenir des objets frontières (5) avec une dimension performative (6) » (Le Coze, 2018, p.88).

« Best of » ou œuvre originale ?

Heinrich est souvent crédité pour les idées qu’il a présentées dans ses livres. Cependant, un examen de la littérature sur la sécurité du début du vingtième siècle révèle que la plupart des idées présentées par Heinrich étaient en fait déjà présentes et discutées par d’autres auteurs. On peut citer les travaux sur les coûts de Hubbard (1921) et la discussion de Lange sur « l’intangible » coûts des accidents (Lange, 1926, p.8). L’idée que la plupart des accidents sont causés par des hommes était assez courante. Cowee (1916), par exemple, suggérait que 60 % de tous les accidents pouvaient être évités par l’éducation. Les réflexions sur les phases d’un accident renvoient à l’œuvre de DeBlois (1926). Heinrich les a reprises à la fois dans le triangle et le modèle des dominos. DeBlois (1926) soulignait également la responsabilité de la direction comme un facteur essentiel, suggérait que les coûts indirects des accidents sont beaucoup plus élevés que les coûts directs et préconisait « une technique appropriée de prévention des accidents fondée sur des principes sains ».

Mais ce que tout le monde s’accorde à reconnaître, c’est que Heinrich a proposé une première philosophie complète de la sécurité industrielle. Avant la publication de son livre, la sécurité n’avait pas de cadre de pensée organisé. C’était encore un méli-mélo d’idées. Heinrich les a toutes réunies et a défini d’excellents principes à partir de pratiques incertaines antérieures (Petersen, 1971). C’est la marque des grands…