Scoping review of peer-reviewed empirical studies on implementing high reliability organisation theory
Dwyer, J., Karanikas, N. & Sav, A. (2023). Scoping review of peer-reviewed empirical studies on implementing high reliability organisation theory. Safety science, 164, 106178.
Notre avis
Une revue de littérature très bien documentée sur la pénétration des organisations à haute fiabilité (HRO) dans l’industrie, effectuée par une équipe de recherche australienne.
On y constate la conviction d’un bon cadre conceptuel, d’une bonne démarche intellectuelle, mais aussi celle de peu de résultats tangibles. À lire.
Notre synthèse
Les accidents sont toujours des drames, mais ils sont toujours des leviers et opportunités pour penser des solutions et modèles de sécurité différents de ceux existant, plus performants pour réduire le risque à l’avenir.
La sécurité du travail avait commencé dès les années 1940 par des modèles centrés autour du travailleur et de son exposition directe aux risques. On pense au modèle des dominos d’Heinrich dans les années 1950, au modèle théorique de causalité et prévention des accidents (Pedersen, 1978). Plus récemment, et sans balayer l’usage des anciens modèles, on retrouvait le modèle de bureaucratisation et complexification de Perrow (1984) qui prédisait l’arrivée inéluctable de nouveaux types d’accidents ; ce modèle de Perrow a lui-même induit toute une série d’autres modèles qui posent la complexification comme un changement de paradigme incontournable de la société, mais en jugeant - contrairement à Perrow - qu’il existe une possibilité de défense et de prévention stratégiques contre cette complexification.
C’est typiquement le cas de la théorie des organisations à haute fiabilité (HRO, High Reliability Organisations) (Roberts, 1989 ; Weick et Sutcliffe, 2021). Pour ce courant, la fiabilité du système ne repose pas sur une somme d’actions locales sur des composantes isolées, mais sur une approche plus globale et stratégique des organisations, avec une composante importante d’amélioration de la culture de sécurité collective portée par cinq comportements vertueux ; au premier rang desquels on trouve l’idée d’une conscience du risque partagée (mindfullness) qui exige de chacun un engagement dans la volonté d’améliorer et prendre leçon des incidents.
Les autres points essentiels des HRO sont l’écoute permanente de l’autre, la capacité à s’exprimer sur ses doutes à toute occasion, le respect des expertises de chacun, et la volonté de résilience. La théorie des HRO propose ainsi une certaine continuité avec les théories précédentes sur la combinaison de solutions innovantes et d’autonomie collective locale quand il n’y a pas de procédures disponibles, mais aussi une exigence à appliquer les procédures connues quand elles sont utilisables, avec la recherche continue d’amélioration des bonnes pratiques, procédures et recommandations (comme dans les approches de qualité continue).
Ainsi présentée, la théorie des HRO a conquis de nombreuses grandes industries.
Quels résultats dans les revues de littérature déjà publiées ?
La plus ancienne des revues publiées date de 2011 (Lekk., 2011). Elle concluait que les applications des HRO restaient limitées à des « niches », avec des approches plutôt conceptuelles et « bien disantes » sur les principes à appliquer, mais avec des mesures objectives d’effets très limitées particulièrement sur la sécurité industrielle.
D’autres revues de littérature ont été publiées depuis 2011, parfois en se limitant à un secteur industriel.
C’est le cas du BTP (Enya, 2018) avec les mêmes conclusions sur le manque de validation des résultats, largement attribué au manque de précision du périmètre, des définitions et ce qui a été réellement modifié dans chaque entreprise qui se réclamait d’une action HRO.
La revue de littérature la plus récente est celle de Cantu (2021) qui suggère que les préconisations du modèle HRO décrit par Weick et Sutcliffe dans les années 1980 commencent à vieillir quand on l’applique aux problématiques des grandes industries modernes. Le cadre HRO mériterait sans doute une mise à jour des concepts et exemples. L’auteur constate que beaucoup d’applications ont de ce fait pris des libertés avec les concepts initiaux, mélangeant sur le terrain différentes approches anciennes et nouvelles (Resilience Engineering par exemple), rendant encore plus difficile de fait l’analyse des résultats vraiment liés aux actions HRO.
Dans les années 2010-2020, le secteur qui s’est le plus réclamé des HRO est sans discussion celui de la santé. Les HRO ont été largement propagées dans les hôpitaux, et les résultats souvent avancés comme significatifs. Mais hélas, comme précédemment, ces résultats ont pour la plupart été publiés dans des rapports et productions internes, sans confrontation avec des comités de lecture.
Même pour les publications citant un effet positif, cet effet est resté le plus souvent indirect avec une amélioration de la culture de sécurité de l’hôpital (ou de l’institution médicale visée) mesurée par des questionnaires répétitifs. Ces changements positifs concernent notamment l’amélioration des relations avec l’encadrement, un effet positif sur la communication et le travail d’équipe, une préoccupation générale plus partagée sur la sécurité du patient.
Pour autant, l’effet concret sur le patient n’a été que rarement mesuré ; et surtout, en écho de Cantu (2021), beaucoup de résultats positifs sont difficiles à mettre au strict bénéfice de l’approche HRO, car souvent mélangée à plein d’autres actions anciennes sur le terrain. Ils sont tout autant attribuables à un simple renforcement simultané de l’approche qualité continue classique (Martelli, 2018). Enfin, tous ces résultats sont toujours très longs à obtenir (Karalis 2018).
Résultats de la nouvelle revue de littérature
La nouvelle analyse s’est limitée aux articles avec comité de lecture.
Le premier filtre a identifié 2 912 publications en lien avec les HRO dans l’industrie, dont 79 étaient bien centrés sur les effets d’une intervention HRO sur la sécurité industrielle, et finalement seulement 5 retenus comme correspondant à tous les critères de qualité désirés (Adwu 2019, Brass, 2018, Cropper 2018, Lekka, 2011, Sculli, 2022).
Ces publications concernent majoritairement le domaine de la santé et celui de l’Oil & Gaz, et ont toutes été réalisées dans des pays riches. 4 des 5 publications sont transparentes sur les méthodes utilisées pour caractériser l’intervention en lien avec les recommandations HRO, et sur l’évaluation des effets.
Les interventions en lien avec la recommandation HRO de préoccupation continue d’amélioration de la sécurité jouent sur le système de signalement des incidents à l’échelon individuel et systémique.
Les interventions en lien avec la recommandation HRO de ne pas simplifier la causalité à outrance, et de ne pas accuser le premier fautif, jouent sur la mise en place d’équipes qui analysent les accidents/ incidents avec des approches en profondeur, qui dépassent la causalité directe.
Les interventions en lien avec la recommandation HRO sur la complexification des situations proposent des cadres d’analyses différents des risques.
Les interventions en lien avec la recommandation HRO sur le respect des expertises introduisent par exemple une écoute réelle de tous les métiers ayant été impliqués dans un incident.
Enfin, les interventions en lien avec la recommandation HRO sur la volonté de résilience sont souvent symbolisées par la mise en place de groupes prospectifs de réflexion sur les nouveaux risques, et sur les nouveaux scénarios à considérer.
Au total, les auteurs retiennent le même sentiment général décrit dans les revues précédentes : les HRO représentent une importante avancée conceptuelle, mais, pour différentes raisons, les preuves de résultats sécurité sur le terrain restent incertaines. C’est un résultat qui fait d’ailleurs écho exactement aux mêmes constats pour le courant de Resilience Engineering.
Le fait qu’il n’y ait que 5 articles publiés d’un niveau et d’une qualité suffisante est déjà un point relativement négatif.
Plusieurs auteurs, bien résumés dans le Manifesto de Rae (2020), déplorent l’écart existant entre des idées séduisantes et le réel. Aussi bien les HRO que Resilience Engineering (RE) sont considérés dans ce Manifesto comme hors sol pour la réalité industrielle et, fait aggravant, comme des théories qui ne se plient pas à une validation scientifique.
Pillay (2017) pointe le manque d’uniformité des interprétations de la théorie sur le terrain sur ce qu’il faut faire, et le manque de prescription sur ce qui est à changer. Il montre que les interventions censées reprendre et améliorer les 5 points essentiels prônés par les HRO (respect des expertises, engagement continu sur l’amélioration de la sécurité, écoute de l’autre et aptitude à signaler le « bizarre », attitude résiliente) sont en fait à géométrie et interprétation si variables d’une industrie et d’un site à l’autre qu’elles en perdent toute comparabilité.
En même temps, côté positif, cette absence de précision et ce flou chronique ont permis à des industries qui ne sont pas du tout à haut risque de s’approprier les mêmes idées et concepts ; en bref, à populariser ces théories.
On se retrouve donc avec les HRO, comme avec RE, avec de grandes idées théoriques connues de tous, qui font réfléchir, même si leur implémentation reste aléatoire. Cette diffusion générale dans les sphères des penseurs de la sécurité reste un point positif de ces approches reconnu par les auteurs.