Date
Octobre 2021

How does selective reporting distort understanding of workplace injuries?


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Geddert, K., Dekker, S. & Rae, A.

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Geddert, K., Dekker, S. & Rae, A. (2021). How does selective reporting distort understanding of workplace injuries? Safety, 7(3), 58.

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Un article sur les biais dans la déclaration des accidents du travail. 

Certes, le système d’assurance (australien et anglo-saxon de façon générale) n’est pas exactement celui que l’on a en France. 

Tout n’est sans doute pas transposable, mais la leçon est de portée suffisamment générale pour rester intéressante.
 

Notre synthèse

Cette étude présente et applique une nouvelle méthode pour étudier la sous-déclaration de certains accidents du travail. Cette méthode, appelée « l’appariement individuel des blessures », consiste à comparer les signalements d’accidents du travail dans les RETEX des entreprises à celui des assureurs du travail (Work Cover, assurance obligatoire en Australie pour tous les professionnels pour laquelle l’entreprise cotise une quote-part comme le salarié). La méthode donne une mesure de la différence entre les blessures reconnues comme « professionnelles » et indemnisées par ces assurances professionnelles et celles reconnues et comptabilisées dans le RETEX de l’entreprise. On voit des différences dans le volume des blessures, ainsi que dans leur nature.

L’utilisation du taux de fréquence des accidents du travail et de leur gravité (TRIR en France) est devenue un standard mais reste critiqué dans les milieux académiques. On lui reproche :

  • Le faible nombre d’accidents du travail résiduel, à la recherche d’un taux zéro qui finit par masquer le débat sur la réduction du risque ;
  • Un taux essentiellement déterminé par les blessures les plus courantes et les moins graves, qui peut être trompeur sur le risque de décès ou d’accident majeur ;
  • Un taux d’accident qui serait parfois plus révélateur des changements décidés dans la classification des signalements que d’un changement dans la performance réelle de sécurité.

Cet article se centre sur ce troisième biais.

De nombreux chercheurs ont étudié cette question

Diverses méthodes ont été utilisées pour estimer la proportion d’accidents signalés.

Une première approche consiste simplement à demander aux travailleurs s’ils ont été blessés et s’ils l’ont signalé. Voici quelques résultats d’études : Shannon et Lowe ont interrogé 2500 travailleurs canadiens et ont constaté que, sur 143 ayant subi une blessure, 57 n’avaient pas déposé de demande d’indemnisation. Pransky et al. ont interrogé 110 travailleurs d’une entreprise américaine et ont conclu que 30 % des travailleurs avaient eu des blessures qui auraient dû être recevables dans le système de déclaration interne, mais moins de 5 % l’avaient été réellement. De Silva et al. ont comparé la déclaration des entreprises dans l’industrie du bâtiment en Australie à l’indemnisation des accidents du travail déclarés à l’inspection de la sécurité : il s’avère que 80 % des accidents reportés en interne ne sont pas signalés par l’employeur à l’inspection du travail.

C’est pareil pour les accidents mortels. Stout et Bell ont résumé dix études comparant différentes sources de données sur les accidents de travail mortels et ont conclu qu’une seule source de données ne capture au mieux qu’entre 37 % et 81 % de ces décès.

Bien sûr, le simple fait de sous-déclarer n’empêche pas que les blessures signalées puissent être une source d’information utile pour les départements HSE des entreprises et pour les politiques de sécurité. Après tout, les entreprises travaillent avec les données dont elles disposent, pas les données qui leur manquent. Mais les directions HSE qui utilisent les données sur les blessures comme indicateur de sécurité font l’hypothèse que ces blessures signalées sont un échantillon cohérent et représentatif de toutes les blessures. S’il existe une différence systématique entre ces blessures signalées et les blessures réelles, ou si la relation entre blessures signalées et blessures réelles change entre les périodes de déclaration, alors les données sur les blessures signalées peuvent devenir trompeuses et les stratégies de sécurité développées par l’entreprise risquent de devenir mal ciblées vers des artefacts de données « fantômes ».

L’objectif de la méthode d’appariement des déclarations

La méthode compare directement la même blessure demandant indemnité ou arrêt de travail telle qu’elle apparaît (ou n’apparaît pas) dans différentes bases de données. L’avantage de l’appariement des blessures individuelles est qu’il permet d’examiner quels types de blessures sont sous-déclarées. Cela permet également d’identifier les différences dans la façon dont les blessures ont été classées, comme lorsqu’une blessure est considérée comme grave dans un système et mineure dans un autre.

La méthode a le potentiel de répondre à quatre sous-questions :

  • Peut-on mesurer la proportion de blessures nécessitant un traitement médical enregistrable ?
  • Peut-on quantifier la relation entre gravité des blessures et déclaration ?
  • Peut-on mesurer la relation entre la classification du risque de blessures, leur gravité et leur déclaration ?
  • Peut-on mesurer la relation entre le mécanisme et la partie du corps blessé et leur déclaration ?

Collecte de données

À des fins de démonstration, la méthode a été appliquée dans une entreprise australienne du secteur de l’énergie.

Analyse de gravité : chaque blessure au travail a un profil unique de douleur, de traitement médical, d’effets sur les relations familiales et sociales du travailleur, d’impact à court et long terme sur la qualité de vie, et d’impact à court et à long terme sur la capacité de travailler.

Les systèmes de gestion et les systèmes financiers classent les blessures en catégories. Ces classifications peuvent avoir un impact significatif sur ce qui est caché ou révélé sur le type de blessures.

Si l’on se réfère à la littérature, il n’existe pas de méthode universellement correcte ou objective pour évaluer la gravité d’une blessure. On lie le plus souvent la gravité des blessures au risque de mortalité, mais évidemment, en milieu de travail, une blessure peut être « grave » même s’il n’y a pas de risque de mort. Pour contourner ce biais, l’étude se base sur le coût estimé ou réel d’une réclamation d’assurance, ce qui parait être une estimation raisonnable.

A noter que dans une certaine mesure, l’employeur est directement intéressé par le coût de la réclamation d’assurance, puisque cela peut influencer sur ses primes futures.

Le coût de la blessure vue par l’assurance a trois composantes :

  • Le coût des soins médicaux (faible < 1000 $AUS, moyen 1000 à 10000, élevé > 10000, très élevé > 50000 $AUS) ;
  • La perte de capacité de travail à court terme ;
  • La perte de capacité de travailler à long terme et de profiter de la vie.

Avec cet indicateur de gravité, l’analyse comparative entre les bases de déclaration de l’entreprise et les bases de déclaration de l’assurance montre :

  • Que les blessures graves sont plus susceptibles d’être enregistrées que les blessures de gravité faible et moyenne (25 % contre 15 %).
  • Mais au final, que seulement 17 % des blessures graves (1 sur 6) et 33 % des blessures très graves (2 sur 6) ont été prises en compte dans les RETEX de l’entreprise.

La raison « officielle » prédominante pour ne pas retenir des blessures de gravité élevée et très élevée dans le système de déclaration interne est qu’elles sont considérées comme « non liées au travail ». Ainsi, sur les 12 blessures de gravité élevée et très élevée dans l’entreprise considérée, 3 seulement ont été retenues dans le RETEX, 1 a été classée comme « soins d’urgence locaux sans suites » et 8 ont été classées comme « non liées au travail ».

C’est donc seulement 19 % des cas de réclamation d’assurance dans cette étude qui ont été initialement classés comme « blessures imputables à la situation de travail » dans le système de déclaration de l’entreprise.

Pourtant, toutes ces blessures ont été finalement acceptées comme étant liés au travail par l’assureur, avec un certain niveau de traitement médical ou/et des arrêts de travail et préjudices divers associés.

Il est tentant d’expliquer ces constatations par une attitude particulière à cette entreprise qui essaierait de cacher les accidents pour réduire activement son taux d’accident. Mais comme le même niveau de résultat est retrouvé dans quasiment toutes les entreprises du secteur de l’énergie australien, ce n’est probablement pas la bonne interprétation. Le plus probable est qu’il s’agit pour tous de produire absolument un taux final le plus bas possible (un TRIR à quasi zéro), car ce taux est devenu une condition d’obtention de contrat ‒ c’est encore plus vrai pour les sous-traitants.

Bien que les chiffres exacts n’aient pas pu être inclus dans cette étude en raison de la confidentialité commerciale, le coût total des blessures « non liées au travail » dépasse le coût total des blessures déclarées dans les systèmes de RETEX.  

La méthode permet aussi de mesurer si le mécanisme de la blessure et la partie du corps blessée sont sujets à des biais de déclaration.

Effectivement, l’étude montre une sur-déclaration de certaines blessures, notamment celles de la main. Inversement, les blessures du dos sont moins enregistrées comme accident du travail, de même que plusieurs parties du corps plutôt concernées par les traumatismes chroniques. 

On a là un angle mort de sécurité créé par un biais dans la classification des blessures en fonction du mécanisme de la blessure, brutal ou chronique. Avec ce biais, on n’est pas surpris en retour de voir des politiques de sécurité qui donnent une priorité à l’évitement des pincements et des écrasements des extrémités (pieds, mains) alors que les traumatismes chroniques, plus nombreux et souvent plus graves, sont relativement négligés dans ces mêmes stratégies d’entreprise, vus comme des fatalités liées aux postes de travail.